Intelligence artificielle : les collectivités locales à l’heure des choix

Eric LEGALE

L’intelligence artificielle n’est plus une perspective lointaine pour les collectivités territoriales. Elle s’invite désormais dans les pratiques quotidiennes des services publics locaux, au rythme d’une adoption rapide mais inégale. Pour éclairer cette transition, le Syndicat national des directions générales des collectivités territoriales (SNDGCT) publie une étude de fond sur le déploiement de l’IA dans les collectivités, fondée sur une enquête nationale menée auprès d’une soixantaine de directrices et directeurs généraux.

Le constat est sans ambiguïté : selon les données de l’Observatoire Data Publica, 77 % des collectivités de plus de 3500 habitants ont déjà engagé un projet d’intelligence artificielle ou prévoient de le faire dans l’année. En à peine deux ans, l’IA est passée du statut d’expérimentation marginale à celui de sujet stratégique. Cette accélération, portée par l’essor des IA génératives masque toutefois une réalité plus contrastée sur le terrain. Certaines collectivités avancent à grands pas, quand d’autres peinent encore à structurer leur approche.

C’est précisément à ce stade que se positionne la note de réflexion du SNDGCT : non comme un manifeste technophile, mais comme un guide opérationnel destiné aux directions générales et à leurs équipes. Pilotée par Marie-Claude Sivagnanam, vice-présidente Management et inclusion du SNDGCT et directrice générale des services de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, et par Philippe Sanmartin, conseiller technique IA et numérique et DGS de la Ville de Venelles, l’étude s’appuie sur des retours d’expérience concrets et sur les contributions d’experts du secteur public.

Dans les collectivités, l’IA est d’abord perçue comme un levier d’efficience. La production de documents administratifs – courriers, notes, délibérations, comptes rendus – constitue aujourd’hui près de la moitié des usages identifiés. L’objectif est clair : gagner du temps sur des tâches répétitives pour le réinvestir dans des missions à plus forte utilité sociale, au contact des habitants. Les assistants conversationnels pour la relation usagers, l’automatisation de certaines chaînes de traitement ou l’aide à la décision commencent également à se développer, à condition de disposer de données fiables et d’un cadre de pilotage solide.

Mais l’étude insiste sur un point central : l’enjeu n’est pas d’abord technologique. Il est humain, organisationnel et managérial. La crainte d’un impact négatif sur l’emploi reste forte. Selon le baromètre du numérique, 62 % des Français perçoivent l’IA comme une menace pour le travail, et près de 80 % des métiers territoriaux pourraient être concernés à des degrés divers. Les directions générales sont ainsi appelées à anticiper la transformation des compétences, à accompagner les agents par des formations ciblées et à affirmer une ligne claire : l’IA doit être un outil d’appui, non un substitut aux savoir-faire humains.

Cette dimension humaine se double d’un enjeu réglementaire majeur. La conformité au RGPD, la préparation à l’entrée en vigueur progressive de l’IA Act européen, la sécurisation et la souveraineté des données figurent parmi les principales préoccupations des dirigeants interrogés. Le document met en garde contre le développement d’une « IA non encadrée », liée à l’usage d’outils grand public en dehors de tout cadre validé, avec des risques réels en matière de confidentialité, de désinformation et de responsabilité juridique. Pour y répondre, plusieurs collectivités mettent en place des registres de traitements IA, des instances de pilotage dédiées et des environnements de test sécurisés, à l’image des « sandbox IA » recommandées par la CNIL.

La question de l’éthique traverse l’ensemble du rapport. Transparence des décisions, explicabilité des algorithmes, supervision humaine systématique pour les usages sensibles : autant de conditions jugées indispensables pour maintenir la confiance, tant en interne que du côté des citoyens. Cette acceptabilité sociale apparaît d’autant plus cruciale que la confiance du public français dans l’IA demeure limitée, avec seulement un tiers des citoyens se déclarant prêts à lui faire confiance.

Autre angle désormais incontournable : l’impact environnemental. L’étude rappelle que la consommation électrique des datacenters, tirée par l’IA, pourrait plus que doubler d’ici 2030. Les collectivités sont donc invitées à intégrer l’IA dans leurs trajectoires climat, à mesurer son empreinte carbone et à privilégier des solutions sobres, en cohérence avec leurs Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux.

Au fil des pages, le SNDGCT dessine une méthode progressive : commencer par un diagnostic des usages existants, acculturer les équipes, expérimenter à petite échelle, formaliser une gouvernance claire, puis déployer les solutions éprouvées. Le rôle des directions générales évolue en profondeur. Il ne s’agit plus seulement d’introduire un outil, mais de piloter une transformation transversale, interservices, qui engage la responsabilité publique et redéfinit les modes de travail. En creux, l’étude délivre un message politique au sens noble : l’intelligence artificielle ne sera ni une baguette magique ni une menace inéluctable pour le service public local. Elle deviendra ce que les collectivités décideront d’en faire. À condition de l’aborder avec méthode, lucidité et sens de l’intérêt général.

👉 L’étude complète du SNDGCT est disponible en téléchargement : https://lnkd.in/ec2y2ma7

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