IA et inclusion algorithmique : un enjeu de cohésion qui touche chaque territoire

Eric LEGALE
Infographie réalisée par IA

L’essor de l’intelligence artificielle installe une nouvelle ligne de fracture : celle entre ceux qui bénéficient pleinement de ses usages et ceux qu’elle laisse au bord du chemin. L’étude publiée en septembre dernier par Aurélie Jean et Jean-Baptiste Manenti, sous l’égide de l’Institut Terram, analyse ce basculement et propose un cadre opérationnel pour éviter que l’IA ne creuse les inégalités sociales et territoriales.

L’enjeu dépasse la simple maîtrise d’outils numériques. Il concerne la capacité des citoyens, des organisations et des collectivités à comprendre, piloter et concevoir des systèmes algorithmiques fiables.

Un think tank dédié aux dynamiques territoriales

Créé en 2024, l’Institut Terram rassemble chercheurs, experts, entreprises, associations et agents publics autour d’un objectif commun : analyser les transformations à l’œuvre dans les territoires. Constitué en association indépendante, il explore les liens entre innovation, transition environnementale, accès aux services publics et cohésion sociale.

Ses travaux s’appuient sur des enquêtes de terrain, des rapports scientifiques, des ateliers et des podcasts diffusés dans toute la France. L’étude sur l’inclusion algorithmique s’inscrit dans cette volonté de documenter les mutations technologiques au plus près des citoyens. Elle montre que l’inclusion numérique héritée des années 1990 ne suffit plus. Dans un contexte où l’IA filtre l’information, structure les services publics, oriente les décisions et optimise les politiques, une nouvelle exigence apparaît : permettre à chacun d’évoluer dans un environnement algorithmique de manière éclairée.

Les auteurs identifient quatre dimensions clés :

  1. Accès : qualité des infrastructures, équipements disponibles, couverture mobile et fibre.
  2. Usage : capacité à utiliser les services intégrant l’IA sans renoncer à ses droits.
  3. Compréhension : aptitude à décrypter les mécanismes algorithmiques, leurs limites et leurs effets.
  4. Conception : gouvernance exigeante, prévention des discriminations, transparence sur les modèles utilisés.

Ce cadre place l’utilisateur au centre d’un système technologique qui doit rester pilotable, explicable et reproductible.

Des disparités territoriales flagrantes

La diffusion de l’IA s’opère à un rythme inégal selon les territoires. Les grandes métropoles multiplient les expérimentations, tandis que de nombreuses communes rurales, périurbaines ou ultramarines peinent à initier les premiers usages.

Trois constats ressortent :

  • Les territoires sous-dotés figurent rarement dans les jeux de données d’entraînement, créant un risque de biais dans les modèles.
  • Les inégalités de compétences au sein des collectivités freinent l’adoption : formations insuffisantes, manque de ressources humaines, complexité technique.
  • Les outils d’IA peuvent générer des discriminations selon l’âge, le genre, l’origine ou la situation économique.

Ces écarts dessinent une IA à deux vitesses, susceptible d’affaiblir la cohésion territoriale si aucune stratégie d’accompagnement n’est mise en place.

Former, gouverner, mutualiser : les trois leviers à activer

L’étude insiste sur la nécessité d’une approche collective pour faire émerger une culture algorithmique partagée.

  • Décideurs publics : la montée en compétences des élus et agents est identifiée comme un préalable. Sans compréhension des mécanismes, difficile d’engager des projets pertinents ou de superviser des algorithmes à fort impact.
  • Gouvernance : les collectivités doivent dépasser la simple conformité au droit pour adopter une gouvernance opérationnelle : transparence des modèles, documentation, tests systématiques, contrôle citoyen.
  • Mutualisation : les coopérations entre collectivités, entreprises et associations permettent de réduire les coûts, harmoniser les méthodes et accélérer l’adoption de modèles plus robustes.

L’école occupe également une place structurante, notamment avec les parcours de formation intégrant l’IA sur PIX, qui familiarisent les élèves aux logiques algorithmiques dès le primaire.

Un levier de souveraineté technologique

L’inclusion algorithmique n’est pas seulement un enjeu de compétences. Elle conditionne aussi la capacité des territoires à maîtriser leurs propres modèles, à renforcer l’écosystème local et à éviter une dépendance excessive aux plateformes internationales. Le rapport plaide pour un soutien accru aux acteurs français et européens de l’IA, pour la création de modèles entraînés sur des données représentatives des réalités locales et pour la diffusion d’outils adaptés aux contraintes des collectivités.

Issy-les-Moulineaux, un exemple cité parmi les collectivités pionnières

L’étude mentionne plusieurs collectivités avancées dans l’usage de l’IA, notamment pour améliorer la relation usagers ou piloter certaines politiques publiques. Issy-les-Moulineaux figure parmi ces exemples : la ville utilise des outils d’IA générative pour faciliter les échanges avec les habitants, aux côtés de Noisy-le-Grand, Plaisir, Bourges, Rouen ou encore Le Havre, engagées sur des cas d’usage comme la modélisation énergétique ou la détection automatique de dépôts sauvages. Cette reconnaissance positionne Issy-les-Moulineaux comme un territoire expérimentateur, attentif aux bénéfices concrets de l’IA et à ses implications pour les citoyens.

Une transformation à conduire collectivement

En proposant un cadre d’analyse clair et des pistes opérationnelles, l’étude rappelle qu’une IA déployée sans stratégie d’inclusion peut accentuer les fragilités sociales et territoriales. Mais bien gouvernée, elle devient un accélérateur de cohésion et d’innovation.

Cette réflexion place l’inclusion algorithmique au cœur des politiques numériques locales. Un enjeu que les collectivités et les entreprises ne peuvent plus contourner, tant il conditionne la capacité des territoires à rester attractifs, solidaires et souverains.

Le site web de l’institut Terram
Télécharger l’étude

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