Marchés publics : l’Europe prépare une réforme majeure qui va redéfinir l’accès des entreprises aux contrats publics

Eric LEGALE

La Commission européenne engage une révision en profondeur des directives Marchés publics et Concessions de 2014. La consultation publique, ouverte jusqu’au 26 janvier 2026, cible directement les entreprises et les fédérations professionnelles. L’enjeu dépasse la mise à jour technique : il s’agit de remodeler un système représentant près de 15% du PIB européen, jugé trop complexe, trop lent et insuffisamment aligné sur les priorités industrielles, numériques et climatiques du continent.

Bruxelles part d’un constat partagé par les États membres : les procédures restent hétérogènes, lourdes, parfois contradictoires avec les nouveaux cadres réglementaires comme l’AI Act, le Data Act ou DORA. Les entreprises dénoncent depuis plusieurs années un coût d’entrée élevé et une fragmentation juridique qui compliquent l’accès transfrontalier aux marchés. La réforme vise à harmoniser les pratiques, standardiser les documents et alléger les étapes de mise en concurrence. L’objectif est clair : réduire les délais, diminuer les coûts administratifs et fluidifier l’accès aux marchés européens, notamment pour les PME innovantes.

L’un des axes majeurs de la révision concerne la place des petites et moyennes entreprises. Dans certains pays, moins de la moitié des marchés leur sont aujourd’hui attribués. La Commission veut corriger cette tendance en renforçant l’allotissement, en ajustant les critères de capacité et en accélérant les procédures adaptées aux TPE/PME. Ce rééquilibrage doit limiter la concentration des marchés chez quelques grands groupes et stimuler la concurrence locale.

La transformation numérique de la commande publique constitue un autre moteur de la réforme. L’Europe veut généraliser les plateformes d’e-procurement, harmoniser les formats d’avis et ouvrir largement les données d’achat. Pour les entreprises, cette centralisation offre une visibilité accrue sur les opportunités, permet d’automatiser la veille commerciale et rend les marchés des 27 plus lisibles. Les collectivités, de leur côté, pourront comparer plus efficacement les offres, réduire les risques de procédures infructueuses et mieux planifier leurs achats.

Bruxelles entend aussi aligner la commande publique sur les priorités du Pacte vert et sur les politiques industrielles récentes : semi-conducteurs, hydrogène, cloud souverain, cybersécurité, intelligence artificielle conforme à l’AI Act. Les critères d’attribution devront mieux valoriser les solutions bas-carbone, les architectures numériques ouvertes, les outils souverains ou encore les services cloud hébergés en Europe. La commande publique devient ainsi un instrument explicite de soutien aux filières stratégiques et à la réduction des dépendances extracommunautaires.

La sécurité économique occupe d’ailleurs une place bien plus centrale dans cette réforme que dans les directives de 2014. Les futures règles devraient imposer une traçabilité accrue des chaînes de valeur, des exigences plus strictes en matière de cybersécurité et d’hébergement des données, ainsi qu’une vigilance renforcée sur la provenance des technologies. Les fournisseurs capables de garantir conformité, transparence et souveraineté disposeront d’un avantage réel lors des prochains appels d’offres.

La Commission veut également rendre les achats innovants plus accessibles. Les mécanismes de pré-commercial procurement et les partenariats d’innovation devraient être clarifiés pour permettre aux entreprises de tester et co-développer plus facilement des solutions avec les collectivités. Dans des secteurs comme les mobilités, la transition énergétique ou les services urbains numériques, cette évolution ouvre la voie à une adoption plus rapide des technologies émergentes.

Enfin, la révision doit renforcer la transparence et la prévention des risques de manipulation. La numérisation complète des procédures facilitera les audits, la publication systématique des données d’achat et la traçabilité des décisions. Ce mouvement répond à une demande récurrente des acteurs publics comme privés, soucieux de garantir des conditions de concurrence équitables.

Bruxelles prévoit de présenter sa proposition législative au second semestre 2026. D’ici là, les entreprises, collectivités et organisations professionnelles disposent de quelques semaines pour faire entendre leur voix. Pour une économie européenne en quête de souveraineté, de simplification et d’efficacité, cette réforme pourrait s’avérer l’une des plus structurantes de la décennie.

Vous pouvez contribuer jusqu’au 26 janvier 2026 sur le site de la commission européenne

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