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Prochaine étape de l’urgence sanitaire : l’utilisation des données de déplacements?

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Un comité de scientifiques, le CARE (Comité Analyse Recherche et Expertise) a été créé le 24 mars pour, selon un communiqué de la présidence de la République, accompagner la réflexion des autorités « sur l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées ».

Une formulation très prudente pour répondre à une question simple : doit-on utiliser les données mobiles sur les mouvements de population pour ralentir l’épidémie du coronavirus Covid-19 ?

On sait que ça fonctionne. Stéphane Richard, le patron d’Orange, a révélé il y a quelques jours que l’analyse statistique des données téléphoniques estimait que près de 1,2 million de parisiens – 17 % des habitants de la métropole du Grand Paris – avaient quitté leur région entre le 13 et le 20 mars. Ce n’était pas un scoop, au regard des images que nous avons tous vu, mais la démonstration qu’il est possible de se baser sur les données de géolocalisation des téléphones mobiles pour analyser les déplacements de la population. Ces données ont d’ailleurs été partagées notamment avec les préfectures en ayant fait la demande, l’AP-HP, le SAMU et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Il ne s’agit pas, assure les opérateurs, des données personnelles mais « d’agrégats statistiques compilées à l’échelle de portions du territoire ». Il s’agit de savoir combien de personnes se trouvent dans cette portion de territoire à une date donnée, et ainsi de pouvoir connaître l’évolution de la population sur chacune d’entre elles.

En tout cas, c’est l’analyse de ces données qui ont permis à la Corée du Sud de gérer l’épidémie sans avoir recours au confinement et avec des résultats plutôt encourageants.

Cela avait commencé en Chine, bien sûr puisque la province d’Hubei a été l’épicentre de la pandémie du Covid-19. Les opérateurs China Mobile, China Telecom et China Unicom ont ainsi fourni au ministère de l’Industrie et des Technologies et aux autorités de santé les données de localisation de leurs utilisateurs ayant transité par la province d’Hubei au début de la crise, rapporte le Wall Street Journal. Certaines villes chinoises ont ensuite utilisé ces informations pour publier des messages d’alerte sur les réseaux sociaux.

Gilles Babinet, spécialiste des questions numériques, rappelait sur le blog de l’Institut Montaigne que « d’une manière générale, les pays asiatiques, plus encore que les Etats-Unis, semblent à même de reconsidérer deux enjeux à l’aune des opportunités et risques de la révolution numérique. Le premier est le modèle de gouvernance. Si les données permettent une plus grande réactivité, il est important de réduire la chaîne de commandement et tout à la fois de la centraliser, et d’introduire de l’autonomie et de la subsidiarité. Le deuxième est l’importance accordée à la technologie. Le modèle orwellien du crédit social chinois suscite évidemment de nombreuses réserves, mais relevons que des démocraties comme Taïwan et la Corée du Sud, dont les sociétés civiles sont particulièrement vigoureuses, ont fait un choix différent de celui de l’Occident en matière de renoncement momentané à certaines libertés individuelles au profit du bien commun« .

Depuis, les pays asiatiques ont été imités par Israël où le gouvernement a adopté, à l’unanimité, un programme qui autorise le Shin Bet (service de sécurité intérieure) à collecter les données mobiles des Israéliens déjà contaminés par le coronavirus pour analyser leurs déplacements, avant une mise en quarantaine ou une hospitalisation.

Et d’autres pays optent aujourd’hui pour cette approche dont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, la Pologne ou la Russie.

Une réflexion qui avance en France

En France, le sujet est délicat et invite à la polémique facile. La CNIL a reçu de nombreuses sollicitations de la part de professionnels et de particuliers sur les possibilités de collecter, en dehors de toute prise en charge médicale, des données concernant des employés/agents ou visiteurs afin de déterminer si des personnes présentent des symptômes du coronavirus, ou des données relatives à des déplacements et événements pouvant relever de la sphère privée. Pour y répondre, elle a publié un rappel des principes à respecter sur son site web.

Le sujet est pris avec de tellement de pincettes que l’Etat a confié la présidence du CARE à un Prix Nobel de médecine, Françoise Barré-Sinoussi, une spécialiste en virologie qui a travaillé pour l’institut Pasteur dans l’équipe ayant découvert le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), causant le sida. Avec onze autres personnalités de la Recherche et de la médecine, elle va prendre l’avis de la communauté scientifique pour estimer l’utilité ou non d’avoir recours aux données de déplacements. L’absence de spécialistes des technologies pose cependant question.

Au niveau parlementaire, une tentative récente pour inclure le suivi numérique dans la loi visant à faire face à l’épidémie a été stoppée. Un amendement déposé par les sénateurs Patrick Chaize et Bruno Retailleau visait à faciliter les procédures imposées aux opérateurs dans la collecte et le traitement des données de santé et de localisation, en les autorisant pour six mois. « Cela reste inenvisageable dans l’état actuel de notre droit », arguait Éric Bothorel, le référent numérique à LREM. Quant à Jean-Michel Mis, rapporteur de la mission d’évaluation de la loi renseignement de 2015, il déclarait « qu’un tel dispositif n’est pas évoqué et ne correspond pas à notre culture ». L’hypothèse d’un traçage des données pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, « n’est pas dans la culture française » et « nous n’y travaillons pas », a même déclaré Christophe Castaner, trois jours après l’annonce de la création de ce Comité d’experts.

Le débat devrait pourtant pouvoir avoir lieu si la France, et plus encore l’Europe, souhaitent adopter les dynamiques d’un État moderne, sans pour autant verser dans les travers totalitaires que le numérique permet aussi.

Mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

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