Organisée en présence de représentants de collectivités locales issues de 22 pays, la conférence Major Cities of Europe 2025, organisée à Issy-les-Moulineaux les 9 et 10 octobre derniers, a lancé un message clair : les villes n’ont plus le luxe d’attendre. Elles doivent désormais piloter la technologie, non la subir, pour faire face à deux bouleversements majeurs de notre époque : l’intelligence artificielle (IA) et la transition climatique. Pour Giorgio Prister, président du réseau européen, le nouveau leadership urbain repose sur l’expérimentation locale, la gouvernance partagée et la preuve par l’exemple.
L’Intelligence Artificielle n’est plus une option
« L’intelligence artificielle n’est plus une option, elle est déjà là », a rappelé Alan Shark, professeur à l’Université américaine George Mason. Mais pour lui, elle doit être considérée non comme un pilote automatique, mais comme une intelligence augmentée, au service des humains. Cinq questions guident toute stratégie publique d’IA : pourquoi la met-on en œuvre, sur quelles données, avec quelle transparence, pour quels risques et avec quelles compétences internes ? Cette grille d’analyse place la gouvernance au centre du débat.
L’Europe, avec l’AI Act, a fait le choix de la régulation et de la transparence pour bâtir la confiance, là où les États-Unis misent davantage sur la compétitivité. Cette différence n’empêche pas les collectivités locales, plus proches des citoyens, d’agir comme pionnières d’une IA de confiance. En construisant des systèmes fondés sur des données vérifiées, les villes créent de véritables bulles de confiance.
De la Smart City à la Ville Cognitive
L’ère de la « Smart City » cède la place à celle de la Ville Cognitive, capable d’anticiper les besoins et de prendre des décisions automatisées.
Issy-les-Moulineaux, ville hôte, en est un exemple avec IssyGPT, un assistant municipal fondé sur l’IA générative, hébergé sur les serveurs de la ville et alimenté uniquement par des contenus publics validés. Fonctionnant en circuit fermé, il renforce la proximité entre habitants et administration, disponible 24 h/24 et 7 j/7.
À Meudon, l’intelligence artificielle s’invite déjà dans le quotidien des habitants à travers une expérimentation inédite : un standard téléphonique intelligent. Ce dispositif permet de répondre automatiquement aux appels les plus fréquents (horaires d’ouverture, démarches administratives, informations pratiques) et de rediriger les demandes plus complexes vers les agents compétents.
Zurich a choisi une stratégie double : services externes pour les usages non sensibles et développement interne pour les applications critiques. Son chatbot “2DR – Zurich Intelligent Assistance” avance « au rythme de la confiance ».
À Gênes, l’IA et un jumeau numérique de précision permettent désormais d’anticiper les inondations et d’organiser des évacuations préventives. Le dispositif “Citizen Co-pilot”, multilingue, renforce la participation citoyenne.
À Florence, l’intelligence artificielle sert à la justice fiscale : un algorithme détecte les locations touristiques non déclarées à partir d’images de façades, permettant à la ville de cibler ses contrôles et de rétablir l’équité.
L’IA au service de la transition climatique
L’innovation ne peut ignorer l’urgence écologique. À Issy-les-Moulineaux, le Budget Climat, inspiré d’Oslo, intègre la réduction des émissions carbone dans le cycle budgétaire. Chaque mesure municipale est évaluée en fonction de son impact climatique. Le chercheur norvégien Borgar Aamaas, du Centre international pour la recherche sur le climat (CICERO), a présenté la méthode de budgétisation climatique mise au point par les villes norvégiennes. Il a cité l’exemple de Trondheim, qui a réduit les émissions de ses bâtiments publics de 18 % en quatre ans grâce à cette approche. Il a rappelé que si les communes contrôlent peu d’émissions directes, elles peuvent influencer les comportements des habitants et des entreprises.
En Région Centre-Val de Loire, le projet PrevizO illustre une IA frugale : une intelligence artificielle hébergée localement dans un datacenter géothermique, conçue pour anticiper les pénuries d’eau sans recourir à des modèles énergivores.
Les villes doivent aussi s’interroger sur l’impact environnemental de l’IA elle-même. Derrière la puissance des grands modèles se cache une consommation d’énergie colossale. Réguler l’implantation des data centers et soutenir la recherche sur l’efficacité énergétique devient une priorité.
À Vienne, le Geospace Hub convertit les données satellites en outils de maintenance prédictive : les déformations millimétriques des infrastructures sont détectées en temps réel grâce à l’interférométrie radar, évitant des dégâts majeurs liés à la chaleur.
Coopération européenne et Citiverse
Aucune ville ne peut réussir seule. C’est tout le sens du réseau Major Cities of Europe, conçu comme un espace d’«échange entre égaux ». Le projet Citiverse, présenté par la Commission européenne, en est l’incarnation. Basé à Valence, il vise à créer une infrastructure partagée entre 100 villes européennes d’ici 2026, en combinant jumeaux numériques et IA dans un cadre commun et interopérable. L’objectif est de transformer la mosaïque actuelle des initiatives locales en un écosystème cohérent fondé sur les valeurs européennes : souveraineté, transparence et inclusion.
L’innovation, affaire humaine avant tout
Au terme des échanges, le message est resté constant : l’IA doit augmenter les capacités humaines, non les remplacer. C’est à ce prix que la technologie servira la transition écologique et la résilience urbaine.